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Comprendre le tournant réactionnaire, à la lumière de l’histoire du fascisme

Stéfanie Prezioso est historienne, spécialiste du fascisme et de l’antifascisme et Professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Lausanne. Elle revient pour Dialogisme sur les caractéristiques du « fascisme historique », ainsi que sur les points communs et différences avec la situation actuelle.

Propos recueillis le 27 août 2025.

En tant qu’historienne vous vous êtes intéressée aux fascismes européens du XXe siècle. Quelles en étaient les caractéristiques principales ?

Je dirais que le fascisme est un mouvement politique d’extrême droite qui trouve sa pleine expression en Italie et en Allemagne dans les années 1920, 1930 et 1940. Violemment antimarxiste, impérialiste et raciste, il entend détruire les droits et les libertés démocratiques, et se fonde sur le rejet de l’égalité, la stigmatisation des plus faibles et l’offensive contre les femmes. Il utilise la violence et la terreur, mais aussi l’embrigadement pour imposer une nouvelle hiérarchie entre les êtres humains.

J’ajouterais à cela, en reprenant l’analyse du libéral Luigi Salvatorelli, fin observateur de la montée de Mussolini vers le pouvoir, qu’il s’agit d’un mouvement autonome, un « parti organisé pour ses propres objectifs, visant la conquête du pouvoir pour ses propres fins ». Comme l’écrivait le socialiste révolutionnaire Carlo Rosselli, assassiné en 1937, il est à la fois « réaction de classe et crise morale ». Ou, pour le dire différemment, il ne peut se concevoir sans les crises politique, sociale, économique et morale qui suivent la Première Guerre mondiale. Il ne peut triompher sans l’action combinée de la violence paramilitaire et de la répression d’État, ni sans le développement d’un véritable mouvement de masse. Il ne peut conquérir les esprits sans cette fusion inédite d’éléments apparemment disparates de conservatisme et de modernité. Enfin, le fascisme n’a pu se déployer que lorsque le mouvement ouvrier n’a plus représenté une menace : c’est l’idée de la contre-révolution préventive que souligne, dès le début des années 1920, l’anarchiste italien Luigi Fabbri.

Pourtant, certains de ces traits se retrouvent aussi dans d’autres systèmes autoritaires, ce qui complique sa définition. En outre, l’usage générique du terme « fascisme » peut soulever de nombreuses questions quant à sa définition et à son périmètre d’application. Ainsi, il n’est pas rare, encore aujourd’hui, de lire un ouvrage sur le nazisme sans aucune référence, ou presque, au fascisme italien, ou même de voir ranger le fascisme italien dans les systèmes autoritaires « classiques ».

L’antifasciste italien Angelo Tasca affirmait en 1938 que « définir le fascisme, c’était en écrire l’histoire », car « il y a plusieurs fascismes, dont chacun recèle des tendances multiples, parfois contradictoires, et qui peuvent évoluer jusqu’à changer certains de leurs traits essentiels. Définir le fascisme signifie le surprendre dans cette évolution […] ». Et je pense que c’est dans cette direction qu’il s’agit d’aller, afin de tendre vers une histoire transnationale du fascisme, attentive aux adaptations.

On assiste aujourd’hui à une montée de mouvements et de figures d’extrême droite un peu partout dans le monde. Quels sont les éléments de continuité et les différences entre le fascisme historique et les mouvements d’extrême droite actuels ?

La question de la qualification de la période actuelle est complexe à de nombreux égards, comme le montre l’inflation de termes et de concepts visant à cerner ce « nouvel » ennemi. Le débat semble hypnotisé par l’idée d’un « retour du fascisme » : une obsession liée bien sûr à la place centrale du fascisme dans l’histoire du XXᵉ siècle et dans son imaginaire collectif, mais aussi à la « tension » qui existe entre « les faits historiques et leur transcription linguistique ».

Comme l’a souligné l’historien états-unien Robert O. Paxton, le fascisme est un mot qui produit plus de chaleur que de lumière. Devenu rapidement une invective, il a été très tôt utilisé pour stigmatiser l’adversaire, quel qu’il soit. L’approcher constitue donc une tâche complexe, qui relève à la fois d’un travail éthique et culturel de révision constante, de discernement et de distinction. Cette difficulté est renforcée par la tendance croissante à une défascisation rétrospective du fascisme, observable tant dans la production historiographique que dans la mémoire collective.

Pour certains, l’usage du mot demeure essentiel, car il offrirait un cadre prédictif : agiter le danger du fascisme permettrait de mobiliser les forces sociales nécessaires pour contrer l’agenda politique des extrêmes droites contemporaines. Vu d’Italie, je ne suis pas certaine que cela fonctionne, tant le mot a été usé jusqu’à la corde pour inciter la population à voter pour « le moindre mal », même « en se bouchant le nez », selon l’expression utilisée par Matteo Renzi lors de la campagne électorale de 2018. Ceux qui pensaient qu’agiter constamment le « danger du fascisme » suffirait à détourner presque mécaniquement l’électorat de figures perçues comme telles ont dû constater que ce vocabulaire n’a pas vraiment aidé à penser la réalité. Il a, au contraire, permis de faire l’économie d’une analyse fine d’une conjoncture inédite.

Pour d’autres, l’usage du mot reste contre-productif, car il nous enfermerait dans les grilles de lecture du passé, empêchant une analyse rigoureuse des phénomènes politiques actuels. Cela ne signifie pas qu’il n’existe aucune continuité historique avec le fascisme ; mais n’y avait-il pas déjà des éléments de continuité évidente entre le fascisme et la droite nationaliste réactionnaire du XIXᵉ siècle ?

« Les extrêmes droites contemporaines visent à détruire les droits et libertés fondamentales, mais aussi les syndicats et, plus largement, les mouvements sociaux. »

Les extrêmes droites contemporaines partagent avec le fascisme historique un certain nombre de traits : nationalisme, racisme, antisémitisme, islamophobie, impérialisme, homophobie et lesbophobie, autoritarisme, antimarxisme. Elles visent à détruire les droits et libertés fondamentales, mais aussi les syndicats et, plus largement, les mouvements sociaux. Elles mènent une offensive contre les droits des femmes et désignent des boucs émissaires. Ce rejet de l’autre s’accompagne d’un discours identitaire excluant, destiné à légitimer des politiques autoritaires au nom de la défense d’une nation prétendument menacée. De ce point de vue, les stratégies discursives et électorales de figures comme Donald Trump aux États-Unis, Giorgia Meloni en Italie ou Javier Milei en Argentine rappellent celles utilisées par Mussolini ou Hitler.

Leurs conditions d’émergence présentent également des analogies : crises économiques et sociales durables, crise de la représentation et de la légitimité des partis politiques traditionnels, perte de repères et crise morale. Mais, dans le même temps, le contexte actuel est profondément différent.

Parmi les différences majeures, on peut citer le rapport à l’État. Le fascisme historique prônait un renforcement de l’État. L’extrême droite contemporaine, en revanche, est ultralibérale et souhaite réduire l’État à ses seules fonctions régaliennes. Javier Milei brandit ainsi une tronçonneuse comme symbole de la destruction des services publics, tandis qu’Elon Musk incarne une vision libertarienne où l’État est perçu comme un obstacle au développement du capitalisme. Pourtant, paradoxalement, jamais l’État n’a été autant sollicité pour sauver le secteur financier.

Le fascisme s’appuyait sur des mouvements de masse, organisés autour d’une idéologie structurée et encadrés par des organisations paramilitaires (comme les Sections d’Assaut – SA – en Allemagne ou les Chemises noires en Italie). Leur objectif était notamment de détruire les organisations ouvrières et progressistes, à une époque où celles-ci rassemblaient des millions de membres.

Aujourd’hui, la question du mouvement de masse est plus ambiguë. Certes, il existe des groupes d’extrême droite actifs et violents, mais ils ne sont pas centralisés ni institutionnalisés comme force armée spécifique d’un mouvement unifié. Leurs actions sont plus diffuses, souvent relayées par des communautés en ligne. Leur influence se manifeste surtout lors des échéances électorales, mais aussi dans la « guerre culturelle » menée sur les réseaux sociaux et dans une « ignorance » entretenue culturellement.

Il n’est pas rare de voir réduire le fascisme à un ensemble de pulsions, d’instincts, de fantasmes culturels, ou d’en faire un simple synonyme de toutes les formes de réaction obscurantiste, de conservatisme ou d’autoritarisme, même en l’absence de ses « traits distinctifs ». L’usage du concept s’élargit ainsi, en deçà et au-delà du fascisme historique. Ne faut-il pas alors s’interroger sur le sens de ce mot aujourd’hui ? Ne constitue-t-il pas plutôt une sorte « d’oreiller de paresse », permettant d’éviter une analyse concrète de la situation politique dans laquelle nous sommes plongés depuis près de vingt ans ?

Je le dis d’autant plus avec inquiétude que je garde en mémoire l’incapacité de nombreux antifascistes des années 1920 et 1930 à comprendre ce qu’ils avaient sous les yeux. Or, comment combattre un ennemi que l’on ne parvient pas à saisir ?

Comment analyser la période actuelle alors ?

Ce qui complique encore davantage l’analyse est que le « ventre » de certains de ces mouvements est constitué de personnes qui se réclament ouvertement du nazisme et du fascisme — par leurs symboles, leurs gestes, leurs tenues, etc. — et qui l’affichent aujourd’hui avec une vigueur renouvelée, comme on a pu le voir récemment à Paris ou à Milan. Par ailleurs, c’est bien à cette famille politique que se rattache, par exemple, le parti de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. Les fameuses « racines qui ne gèlent jamais », auxquelles son personnel politique fait référence, sont bien celles du fascisme et du néofascisme d’après-guerre. Comme le souligne David Broder dans un petit ouvrage percutant qui leur est consacré (1), ce sont bel et bien « les petits-enfants de Mussolini » qui sont aujourd’hui au pouvoir en Italie. La question demeure alors : comment qualifier la période actuelle ?

Dans cette optique, je serais tentée, à l’instar de l’historien italien Enzo Traverso, de considérer que le concept de fascisme est à la fois indispensable et inadéquat. Traverso utilise la notion de postfascisme afin de signaler la continuité à travers la transformation. L’usage du terme « fascisation » ne me convainc pas, car il tend à effacer la rupture qualitative entre régimes autoritaires et régimes fascistes. Lorsque j’entends ce terme, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’écrivait Léon Trotsky : « Insister sur le fait que le fascisme est déjà là, ou nier la possibilité même de son arrivée au pouvoir, revient politiquement à une seule et même chose. En ignorant la nature spécifique du fascisme, la volonté de le combattre se trouve inévitablement paralysée ». Pour ma part, il me semble que l’on peut — que l’on doit — parler d’un tournant autoritaire et réactionnaire, mais dont il convient de saisir les spécificités.

« Il me semble que l’on peut — que l’on doit — parler d’un tournant autoritaire et réactionnaire, mais dont il convient de saisir les spécificités. »

Car bien que l’on puisse évoquer, comme le fait notamment Miguel Urbán dans son ouvrage Trumpismos (Verso Libros, 2024, non traduit en français), une vague réactionnaire globale partageant certains traits communs, des agendas similaires ou, dans certains cas, les mêmes références intellectuelles, son histoire et sa généalogie diffèrent considérablement selon les contextes. Ainsi, l’extrême droite latino-américaine n’émerge pas d’une crise de l’hégémonie néolibérale, comme en Europe et aux États-Unis, mais du recul d’un cycle progressiste qui avait lui-même constitué une réponse à la crise du néolibéralisme à la fin des années 1990. Les extrêmes droites ne peuvent donc pas — et ne doivent pas — être envisagées comme un bloc homogène, que ce soit dans leur histoire, leur enracinement, leur base sociale ou les conditions politiques, sociales et économiques qui les ont portées, les portent ou pourraient les porter au pouvoir.

En outre, au-delà du point de bascule que certains auteurs situent en 2008, la montée des extrêmes droites n’est pas un phénomène linéaire. Elles ont connu, et connaissent encore, des reculs : pensons au triomphe de la Lega de Matteo Salvini aux élections européennes de 2019 et à la faible part des voix qu’elle recueille désormais, ou encore aux échecs électoraux de Donald Trump après son premier mandat, ou de Jair Bolsonaro au Brésil.

Cependant, il ne fait aucun doute à mes yeux que nous sommes confrontés aujourd’hui à un phénomène inédit : l’accélération d’une vague réactionnaire mondiale, dont la légitimité ne repose pas seulement sur un « compromis autoritaire » entre élites dominantes et mouvements d’extrême droite, comme dans l’entre-deux-guerres, mais aussi — et peut-être surtout — sur leur alliance au cœur même de l’État et de l’establishment. Cela apparaît de façon évidente aux États-Unis, où Donald Trump provient directement des rangs du Parti républicain. En Italie également, la coalition au pouvoir est en réalité la même qu’il y a trente ans : Fratelli d’Italia s’y est consolidé de l’intérieur, obtenant en retour la légitimité qui manquait au parti héritier du Mouvement social italien (MSI), formation néofasciste née immédiatement après la Seconde Guerre mondiale.

Comprendre ces bouleversements politiques globaux implique plus que jamais de poser deux questions fondamentales : qu’est-ce que le capitalisme aujourd’hui ? comment en saisir les transformations et leurs effets politiques, économiques et sociaux ? Mais aussi, plus largement : quel est le rapport entre le capitalisme et la démocratie ? Ces interrogations nourrissent actuellement des débats passionnants, notamment dans la New Left Review et dans Jacobin US, à la recherche de concepts mieux adaptés pour saisir la situation présente. Ainsi, les auteurs Dylan Riley et Robert Brenner ont avancé l’idée d’un nouveau « capitalisme politique », caractérisé par la pénétration des sphères du pouvoir politique par de grands groupes privés, au service d’une dynamique autoritaire qui leur permet d’obtenir des surprofits considérables dans une phase de croissance ralentie. L’exemple est frappant : Elon Musk a investi près de 300 millions de dollars dans la campagne de Donald Trump.

Dans un texte publié sur AOC (3) vous reprenez une citation de Wendy Brown qui parle d’un « ressentiment de classe sans conscience de classe ». Cette montée des extrêmes droites, elle intervient aussi en miroir d’une déroute historique de « la gauche », au sens large du terme, et en l’absence d’un projet émancipateur ?

La croissance de la vague réactionnaire et autoritaire mondiale actuelle ne surgit pas de nulle part. Elle a été alimentée par une radicalisation des politiques et des discours néolibéraux après la crise de 2008, par une augmentation brutale des inégalités, par l’accélération de la destruction des vestiges de l’État-providence et par la précarisation de millions de travailleurs. L’insécurité, la peur, la souffrance, la frustration, l’aliénation et l’impossibilité de se projeter dans l’avenir ont nourri ce « ressentiment de classe sans conscience de classe ».

L’Italie apparaît une fois de plus comme un laboratoire, un cas paradigmatique pour analyser ces transformations et l’assèchement des potentialités qu’avait portées la gauche. À la merci de la solitude et de l’exploitation, les travailleur·euses sont passés d’une classe capable de se penser comme moteur du changement social à une « classe fantôme », stigmatisée par la sphère politique italienne. Ces évolutions se sont accompagnées de transformations socioculturelles d’ampleur, telles que la remise en cause de l’État social, liée à la glorification de la responsabilité individuelle. Pour paraphraser la politologue Wendy Brown, le néolibéralisme a masqué et dépolitisé la reproduction des inégalités, en opérant une « déprolétarisation » des salarié·es destinée à « les amener à adopter les modes de pensée et de comportement des entrepreneurs ». La stigmatisation parallèle des étrangers et des chômeurs a servi de diversion à la colère sociale montante. Ces tendances lourdes se sont imposées au fil des crises économiques successives depuis la fin des années 1980, transformant progressivement — mais implacablement — l’horizon des luttes. Le Welfare State (État providence, ndlr) a été remplacé par un « welfare d’entreprise », dont l’acceptabilité auprès d’une partie de la population a été renforcée par la réduction drastique du rôle de l’État et par les spécificités du capitalisme italien, de type familial.

L’enchaînement des crises économiques a aggravé les conditions de vie et de travail des salarié·es, transformant en profondeur l’horizon politique et la légitimité sociale de la lutte. Le backlash (retour de bâton, ndlr) paraît d’autant plus déterminant qu’il s’est accompagné d’une « dynamique d’adaptation constante au pire », nourrie par une banalisation de l’injustice et par une décomposition du rapport des Italien·nes à l’État. Après vingt ans de berlusconisme, l’un des mouvements ouvriers les plus imposants d’Europe occidentale s’est effondré presque sans résistance. Puis ce fut au tour de Rifondazione Comunista, l’un des partis majeurs de la gauche combative européenne, qui avait réussi au début du XXIᵉ siècle à faire la jonction avec de nouveaux secteurs sociaux mobilisés (jusqu’à l’émergence de Syriza en Grèce et de Podemos en Espagne). La montée actuelle de l’extrême droite ne peut être pensée indépendamment de cet effondrement de la gauche.

À cela s’ajoute l’irruption du Mouvement 5 étoiles, né de l’opposition large au berlusconisme. Ce mouvement a capté, réorganisé et vidé de son contenu un vocabulaire propre à la gauche, attirant une partie de ses intellectuels phares, pour ensuite élargir sa base de masse. Il a prospéré sur la décomposition du champ politique italien et s’est nourri de la lymphe du berlusconisme, représentant ainsi une « forme inédite de destruction de la démocratie ».

L’éclatement du lien social a été masqué par l’appel au « peuple », aux « gens », contre les « puissants », une rhétorique qui tend à neutraliser la conscience de soi, des autres et des multiples dimensions collectives de notre humanité. Elle rejette les contestations dans un univers pré-politique. Antonio Gramsci écrivait dans ses Cahiers de prison : « Négliger et, pis, mépriser les mouvements spontanés, c’est-à-dire renoncer à leur donner une “direction” consciente, à les élever à un plan supérieur en les insérant dans la politique, cela peut avoir souvent de très graves et très sérieuses conséquences. Un mouvement “spontané” des classes subalternes s’accompagne presque toujours d’un mouvement réactionnaire de la droite de la classe dominante et cela pour des motifs concomitants […]. »

Le tournant réactionnaire et autoritaire a ainsi réussi à s’imposer et à consolider une avancée électorale significative en s’appuyant sur la petite et moyenne bourgeoisie, mais aussi sur des couches de salariés — en particulier masculines et blanches — sensibles à l’idée martelée qu’« il n’y a pas assez pour tout le monde ». J’ajouterai que ce tournant autoritaire est renforcé par l’aggravation de la crise climatique.

La crise économique a débouché sur une crise de légitimité du néolibéralisme et sur une contestation politique à large spectre. Depuis le milieu des années 1990, des mouvements ont cherché à contrer par en bas un cours des choses présenté comme « inéluctable » et « nécessaire » pour éviter le « pire ». Ce fut d’abord l’altermondialisme, puis, après 2008, les révolutions du monde arabe, les Indignés espagnols, Occupy aux États-Unis. Ces mobilisations ont inventé un nouveau répertoire d’action collective (dont l’usage du Web 2.0 n’est qu’un aspect), mais surtout une nouvelle manière de concevoir la politique, en rupture avec les partis de la gauche traditionnelle et les directions des grandes centrales syndicales. Trop vite classés dans la catégorie « négative » du populisme ou de l’anti-politique par la presse et par une partie des intellectuels « progressistes », ces mouvements ont pourtant constitué des soubresauts nécessaires. Néanmoins, ils n’ont pas débouché sur la constitution d’organisations politiques durables ni sur la définition d’un horizon stratégique commun, susceptible de faire converger les milliers de luttes menées au cours des trente dernières années, souvent contre vents et marées.

Comment pouvons-nous, collectivement, contribuer à recréer cette conscience de classe ?

La partie n’est pas perdue, si la gauche passe à l’offensive. Et passer à l’offensive veut dire ne pas se laisser hypnotiser par l’agenda de l’extrême droite, mais bien avancer un agenda qui est le nôtre, offrir un horizon d’attente désirable. C’est aussi tenter de gagner la bataille culturelle engagée aujourd’hui par l’extrême droite dans les médias, les médias sociaux, mais aussi par les politiques gouvernementales ; programmes scolaires, censures à large spectre, réhabilitation du révisionnisme historique en Italie, aux États-Unis… Enfin c’est mener des luttes collectives ensemble, car seule la lutte portée collectivement est en mesure d’élever le niveau de conscience.

Notes

  1. Stéphanie Prezioso, « Fascisme : hier, aujourd’hui, demain ? », AOC, 29 mai 2025. Disponible en ligne sur https://aoc.media/analyse/2025/05/28/fascisme-hier-aujourdhui-demain/  
  2. David Broder (2023) Mussolini’s Grandchildren. Fascism in Contemporary Italy, Pluto Press, non traduit en français.

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